mardi 19 juin 2012

Quel avenir, pour les vieillards?

Quand je serai vieux (dixit un vieillard tremblotant, appuyé à deux paumes sur sa canne), je voudrais vendre des verres de limonade à vingt-cinq cents sur le trottoir.
- Et ne pas déclarer cet argent à l'impôt, je suppose?
- Sûr que non.
- Et te prendre pour un vieux délinquant, je suppose?
- Sûr que oui.
- Et l'hiver?
- J'ai un long manteau en plume d'oie, des bottes faites pour le grand nord, et je connais une recette de vin chaud, avec de la cannelle, du girofle, de l'écorce d'orange, du brandy... Je vendrai le verre un dollar ou deux. Ce sera peut-être le début d'une tradition, de vieux qui vendent du vin chaud au coin des rues l'hiver, qui sait... Et toi, que veux-tu faire plus tard?

L'autre vieillard pinça doucement la chair qui pendouillait de son menton, dans un effort intense pour rassembler les miettes d'esprit qui lui restaient. Une lueur parut à ses yeux:

- Je pense me mettre à l'origami. Peut-être m'installer à un café, fabriquer des animaux, des avions, des fleurs, des libellules, dans du papier journal, toute la journée, les offrir ou les disséminer un peu partout dans la ville, en rentrant chez moi, le soir.
- Un beau projet... mais le vent les emportera, non? Et la pluie? Et la neige?
- Tout disparaîtra, je sais... Juste un prétexte pour recommencer le lendemain! Et qui sait, ce sera peut-être le début d'une tradition, de vieux qui pratiquent l'origami dans des cafés...

Les deux amis éclatèrent aussitôt d'un rire franc, auquel on aurait voulu, cependant, s'il avait été possible de retoucher un tantinet la scène, insuffler un peu plus de vigueur.
Le rire s'essouffla aussitôt, et les deux vieillards, fatigués de cette conversation, se contentèrent par la suite d'observer en silence le soulèvement de la poussière, la rue balayée d'un trottoir à l'autre, par un vent solaire.
Et de penser au lendemain, à toutes les possibilités qu'il offrait.